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Le secteur informel, « enfant illégitime » d’un capitalisme de connivence.


Les résultats de l’enquête 2023/24, relative au secteur informel, viennent d’être publiés par le Haut-Commissariat au Plan. Cette enquête, comme les précédentes (1999, 2007, 2014) couvre l’ensemble du territoire national, en milieu urbain et rural, et prend en compte toutes les formes d’unités informelles : celles installées dans un local fixe, celles exerçant à domicile et celles en situation mobile ou sans local. Toutefois, elle exclut certaines catégories, notamment les unités agricoles, la production pour usage propre, et le personnel domestique employé par les ménages à titre privé. Elle a couvert, un échantillon de 12391 unités de production sur l’ensemble du territoire national et sur une période de 12 mois pour tenir compte de la saisonnalité de leurs activités.



Par Abeslam Seddiki

Quel est le poids économique et social de ce secteur ? Comment il fonctionne et quelles sont ses dynamiques internes et externes ? Autant de questions qui se posent à la lecture du rapport du HCP. Avant d’apporter des éléments de réponse, rappelons brièvement quelques données chiffrées relatives à ce secteur.
 

Des unités de production sans localisation.

Le secteur compte environ 2,03 millions d’unités de production informelles (UPI) en 2023, soit une augmentation de plus de 353 000 unités par rapport à 2014. Cette croissance est principalement urbaine avec 77,3% des UPI localisées en milieu urbain, et une forte concentration dans la région de Casablanca Settat (22,7%). Le commerce constitue la principale activité, avec 47% des UPI, bien que sa part ait diminué au profit d’une progression des services (28,3%) et du BTP (11,6%). Les UPI sont majoritairement de très petite taille, 85,5% sont constituées d’une seule personne.
 

Plus de la moitié des UPI (55,3%) n’ont pas de local professionnel fixe, et une proportion de 4,6% exerce à domicile. Ces taux varient nécessairement selon le secteur d’activité.
 

Un tiers des travailleurs exercent dans l’informel

En 2023, l’emploi dans le secteur informel représente 33,1% de l’emploi non agricole en baisse de 3,2 points par rapport à 2014. Cette diminution est enregistrée dans les secteurs de l’industrie et des services (de 37,2% à 29,3% et de 21,5% à 20,6% respectivement) accompagnée d’une hausse dans le commerce et le BTP (de 68,5% à 69,8% et de 21,4% à 25,3% respectivement). En volume, l’emploi du secteur informel est passé de 2,37 à 2,53 millions entre 2014 et 2023, soit 157 000 emplois créés.
 

Le commerce concentre 44,1% de l’emploi du secteur informel, suivi des services (28,7%), de l’industrie (15%) et du BTP (12,2%). L’emploi du secteur informel est majoritairement urbain (77,6%), et la région de Casablanca-Settat en regroupe 23,2%, suivie de Marrakech-Safi (14%) et de Rabat-Salé-Kénitra (12,9%).
 

Le salariat ne représente que 10,4% de l’ensemble de l’emploi du secteur informel. Plus de 77% des salariés ont été recrutés via l’entourage familial ou les amis et 60% ne disposent d’aucun contrat.

 


L’informel produit 11% de la richesse nationale….

Entre 2014 et 2023, le chiffre d’affaires annuel du secteur informel est passé de 409,4 à 526,9 milliards de dirhams, soit une progression de 28,7%. Cette hausse reste modérée avec un taux de croissance annuel moyen de 2,6%. La production informelle a également progressé, atteignant 226,3 milliards de dirhams en 2023, soit une augmentation globale de 22,3%. Malgré cette augmentation en valeur absolue, la part du secteur informel dans la production nationale hors agriculture et administration publique est passée de 15% en 2014 à 10,9% en 2023.
 

Le commerce demeure le secteur principal dans la structure de la production du secteur informel, bien que sa part ait légèrement diminué, passant de 34,7% en 2014 à 30% en 2023. En revanche, les services affichent une progression significative, atteignant 24% en 2023 contre 18,6% en 2014. Le secteur du BTP se maintient de manière stable autour de 18,4%, contre 18,1% en 2014. Par ailleurs, la part de l’industrie dans la production du secteur informel a légèrement reculé, passant de 28,6% à 27,7%.
 

Le secteur informel a généré 138,97 milliards de dirhams de valeur ajoutée en 2023, en hausse par rapport à 2014 (103,34 milliards de dirhams), avec un taux de croissance annuel moyen de 3,06%. Sa contribution à la valeur ajoutée nationale hors agriculture et administration publique est passée de 16,6% en 2014 à 13,6% en 2023. Le commerce reste le principal secteur contributeur (38,9% contre 43,1%), en recul, au profit des services (25,6% contre 19,9%) et du BTP (14,8% contre 14,3%). L’industrie, quant à elle, voit sa part diminuer de 22,8% à 20,8%.
 

Le secteur informel se développe à l’ombre du secteur formel. Autrement dit, c’est le secteur formel qui génère l’informel d’une façon directe et indirecte. On le voit bien dans les cas de Casablanca, métropole économique du pays. C’est dans cette ville qu’on trouve en même temps près d’un quart des unités informelles, soit 460 000 ! Cette concentration s’explique pour deux raisons essentielles : d’abord, la ville de par sa dynamique offre des opportunités pour ce genre d’activités parallèles informelles comme on le constate également dans d’autres grandes villes comme Tanger, Marrakech, Salé… qui suivent les traces de Casablanca ; la deuxième raison tient au fait que le développement du pays est plus excluant qu’inclusif. Les exclus n’ont d’autre choix que de se réfugier dans l’informel et les activités de survie.
 

Cette dynamique externe s’accompagne d’une dynamique interne au secteur informel. Une bonne partie des salariés de ce secteur, privés des droits sociaux et d’un salaire décent, se transforment en « chefs d’entreprise » en créant leur propre unité. Il suffit, pour ce faire, de disposer d’un téléphone portable. Pas besoin d’un local, ni d’une autorisation d’exercer, ni de paperasse administrative pour obtenir un crédit bancaire ! Le fait que 85,5 % des unités sont constituées d’une seule personne est significatif à cet égard.
 

A noter également, pour monter ce lien entre dynamique interne et externe, que 57% des approvisionnements du secteur informel proviennent du secteur informel lui- même, contre 70,9% en 2014. Parallèlement, le recours au secteur formel a fortement augmenté (33,7% en 2023 contre 18,2% en 2014). En aval, la majorité de la production informelle (79,5%) est destinée à la consommation des ménages, en hausse par rapport à 2014 (77,8%). Les ventes au secteur formel, bien que modestes, ont progressé (2,4% en 2023 contre 0,5% en 2014), tandis que les ventes destinées au secteur informel diminuent à 17,7% contre 21,3%.
 

L’intégration de l’informel, un vœu pieux.

C’est pour toutes ces considérations que nous sommes en mesure d’affirmer que la politique visant l’intégration du secteur informel a connu un échec patent. On espérait que la généralisation de la couverture sociale pourrait constituer un levier de cette intégration, tel n’est pas le cas malheureusement. La réalité est têtue. Et la nature a horreur du vide. Le capitalisme dominant n’est pas en mesure d’assurer cette intégration. Au contraire, il œuvre au renforcement de l’informel. Par conséquent, vouloir agir sur le secteur informel pour l’intégrer dans le système dominant sans modifier ce dernier est une perte de temps et de moyens.
 

A défaut de ces réformes structurelles touchant les bases de ce capitalisme périphérique de connivence, on continuera à faire les yeux doux à l’informel considéré comme soupape de sécurité et levier de stabilité sociale.

Rédigé par Abdesam Seddiki


 


 


 


 


 


 


 


 




Mardi 3 Juin 2025


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